Chamber Works by Robert Müller-Hartmann & Frederick Block

ARC Ensemble

Chandos Records Ltd – Collection Music in Exile

Septième et huitième opus de la série Music in Exile, les CD Musiques de chambre de Robert Müller-Hartmann et Musique de chambre de Frederick Block, parus chez Chandos en 2023 et 2024, nous font découvrir les œuvres injustement oubliées de ces deux compositeurs juifs, allemand et autrichien, ayant émigré dans les années 1930 en Angleterre et aux USA pour fuir le nazisme.

Robert Müller-Hartmann (1884-1950) fait partie de la longue liste de compositeurs juifs européens marginalisés et oubliés suite à l’avènement du nazisme et des bouleversements sociétaux qui suivirent la Seconde Guerre mondiale.

Le destin de ce compositeur, professeur et musicologue est longuement décrit dans le livret de ce disque solidement documenté par Simon Wynberg, directeur de l’Ensemble ARC (Artists of The Royal Conservatory), fondé en 2002 et basé au Canada.

Né à Hambourg le 11 octobre 1884, Robert Müller-Hartmann était le fils du clarinettiste et professeur de piano Josef Müller et de son épouse Jenny (née Hartmann). Il était petit-cousin du compositeur et chef d’orchestre Paul Dessau (1894 – 1979). De 1900 à 1904, il étudia au Conservatoire Stern de Berlin la composition avec Eduard Behm, le disciple de Brahms, et le contrepoint avec le compositeur et critique Max Loewengard. En 1912, Müller-Hartmann épousa Rebecca Elisabeth Asch (1890 – 1981) – connue sous le nom de Lisbeth – qui était la fille d’une importante famille juive de Hambourg. Cette ville restera le centre de l’activité professionnelle et familiale du compositeur. Müller-Hartmann enseigna la théorie musicale au Conservatoire Krüss-Färber et au Conservatoire Bernuth, et, à partir de 1923, l’harmonie et la composition à l’Université de Hambourg. Il écrivit également des essais et des critiques pour plusieurs revues musicales et siégea au conseil consultatif de la musique de la Nordische Rundfunk Aktiengesellschaft (Société de radiodiffusion du Nord de l’Allemagne).

Plusieurs chefs d’orchestre importants jouèrent ses œuvres : Karl Muck, Carl Schuricht, Richard Strauss, qui dirigea son Ouverture symphonique, op. 7, à Berlin en 1917, et Otto Klemperer, un ancien condisciple du Conservatoire Stern, qui assura la création de son Ouverture Leonce und Lena, op. 14. Les radios allemandes, notamment la Nordische Rundfunk, diffusaient régulièrement la musique de Müller-Hartmann.

Licencié de son poste à l’université de Hambourg en 1933, il enseigna dans une école juive pour filles avant de s’enfuir en Angleterre en 1937. Il s’installa avec sa femme et ses trois enfants à Dorking, à environ 25 miles au sud de Londres. Par l’intermédiaire de sa fille, il rencontra le compositeur britannique Ralph Vaughan Williams, avec qui il se lia d’amitié et collabora. Vers la fin de l’été 1940, Müller-Hartmann fut interné sur l’île de Man en tant que ressortissant allemand. Il en ressortit quelques semaines plus tard grâce au soutien de Vaughan Williams. Mais il dut attendre encore trois ans avant que le Home Office ne lui accorde la permission de pouvoir officiellement enseigner la musique. Durant la guerre, la BBC ne diffusa que très peu d’œuvres de compositeurs allemands ou autrichiens, même s’ils étaient juifs et réfugiés. L’antipathie générale à l’égard des musiciens allemands exilés et la personnalité modeste et plutôt effacée de Müller-Hartmann eurent pour conséquence qu’il fut rapidement oublié, et ce d’autant plus qu’il mourut prématurément d’une hémorragie cérébrale le 15 décembre 1950.

On relèvera toutefois que, contre toute attente, la BBC présenta une sélection de lieder de Müller-Hartmann au cours de l’été 1945. En Israël, grâce à la promotion de son fils Jedidja, sa Sonate pour deux violons, op. 32, et sa Sinfonietta furent diffusées sur les ondes de Kol Yerushalayim.

Après sa mort, ses manuscrits musicaux furent envoyés à ses fils en Israël, qui les donnèrent à l’Académie de musique et de danse de Jérusalem. Ils y restèrent en grande partie intouchés jusqu’à la parution de ce CD dû au remarquable travail de Simon Wynberg.

Le compositeur viennois Frederic Block (1899-1945), quant à lui, était sur le point d’entamer une carrière européenne prometteuse. Fils unique d’une famille prospère, Block avait joui du luxe rare d’une vie musicale sans avoir besoin d’un revenu indépendant.  

Son premier professeur fut le compositeur tchèque Josef Bohuslav Foerster, puis Hans Gál à l’Université de Vienne. De nature conservatrice, la musique de Block rencontra un succès modeste pendant les années 1920. À Vienne, le 15 janvier 1922, un concert entièrement consacré à sa musique comprenait un Quatuor à cordes en la mineur, un groupe de lieder et un Quintette avec piano en sol majeur. D’autres exécutions de ses œuvres suivirent à Vienne et à Prague. Au début des années 1930, la musique de Block était présente dans des programmes qui promouvaient la musique de compositeurs autrichiens plus jeunes. Beaucoup d’entre eux, comme Karl Weigl, Erich Zeisl, Ernst Kanitz, Otto Jokl et Walter Bricht, étaient juifs et allaient trouver refuge aux États-Unis. Au cours des années 1930, Block se consacra également à l’opéra, et dans un élan d’énergie extraordinaire, il en composa six en l’espace de quatre ans. Le troisième, Samum, fut créé en janvier 1936 au Théâtre national slovaque de Presbourg (aujourd’hui Bratislava) et obtint un grand succès.

Alors que les forces allemandes se rassemblaient à la frontière autrichienne et que le pays montrait son enthousiasme pour une union avec l’Allemagne, Block dut se rendre compte de la menace imminente qui pesait sur les Juifs autrichiens. En mars 1938, après l’annexion de l’Autriche par Hitler, Block obtint un visa britannique à Trieste, puis s’envola de Zurich pour Londres où il retrouva sa fiancée, Ina Margulies, qu’il épousa le 15 août 1939 dans la Richmond District Synagogue. Ils vécurent à Kew pendant les derniers mois de leur séjour à Londres, où Block termina son opéra Schattenspiel (Jeu d’ombres). Leur départ pour l’Amérique fut retardé jusqu’à ce que leur demande d’immigration soit approuvée au mois de mai suivant. Le 11 juin 1940, ils embarquèrent à bord du Britannic, un paquebot transatlantique de la Cunard-White Star Line, et quittèrent Liverpool pour New York où ils arrivèrent à l’été 1940.

C’est là qu’il trouva du travail en composant et en arrangeant des partitions pour des orchestres de radio – principalement la CBS – et en arrangeant des œuvres orchestrales pour publication dans des versions pour piano solo. Mais en plus de ces activités chronophages, il composa une énorme quantité de musique de chambre. Hypersensible, stressé et hanté par la prémonition d’une mort imminente, Frederick Block quittait à peine son appartement de Washington Heights. Son ami et collègue Otto Janowitz écrit : « C’était un compositeur qui n’appartenait à aucune école ni à aucun mouvement, qui ne voulait rien prouver par sa composition, qui n’était ni abstrait, ni romantique, mais qui, avec une infatigable persévérance, terminait œuvre après œuvre sans se soucier de la critique, du succès, malheureusement même pas des représentations, suivant simplement honnêtement son envie de créer. »

Les prémonitions qui le hantaient ont presque certainement été précipitées par le stress de la séparation : de Vienne, de sa langue et de sa culture, et de sa mère Berta, veuve restée à Vienne, qui fut assassinée à Treblinka en 1942.

Au début de 1945, on lui diagnostiqua un cancer. Les radiations s’avérèrent inefficaces, et le 1er juin, trois mois seulement avant son quarante-sixième anniversaire (et l’obtention de la citoyenneté américaine), Frederick Block mourut. Il fut enterré au Cedar Park Cemetery, à Paramus, dans le New Jersey. Ina Block ne s’est jamais remariée et a survécu à son mari pendant cinquante-cinq ans, disparaissant en 2000. Sa tombe se trouve à côté de celle de Frederick.

En 2001, la New York Public Library fit l’acquisition des archives de Frederick Block provenant de la succession de sa veuve, Ina Block, et Simon Wynberg les découvrit par hasard dans les collections de la bibliothèque. Il fut ému par l’histoire de ce compositeur, par la beauté de ses œuvres et par l’anonymat quasi total qui suivit sa mort. Il entama alors un travail de recherches qui aboutit à l’édition de ce bouleversant CD qui, comme les opus précédents, rend hommage aux musiciens de l’exil dont les œuvres sont injustement tombées dans l’oubli.

Deux disques à découvrir absolument…

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En savoir plus sur L’ARC Ensemble

Sonata for Two Violins, op. 32 de Müller-Hartmann, 4e mvt
Suite, Op. 73 (1944) for Clarinette and piano de Block, 4e mvt Orientale
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