Mélodies hébraïques : un cheminement musical à travers l’âme juive

Une émission de radio de l'Institut Européen des Musiques Juives présentée par Hervé Roten

MUSIQUES JUIVES D’HIER ET D’AUJOURD’HUI – MARDI 20 DECEMBRE 2016, JUDAÏQUES FM (94.8), 21H05


Dans la seconde moitié du 19e siècle se développe en Europe un intérêt pour les musiques populaires et exotiques. Avec l’émergence des expositions universelles, l’extension des empires coloniaux britanniques et français, l’orientalisme est à la mode. Debussy est le premier à s’inspirer des musiques de tradition orale pour inventer une musique qui rompt avec le langage occidental classique. Il influence considérablement les compositeurs de la génération suivante (Bartók, Stravinsky, de Falla, etc.), qui fondent leur propre langage musical sur les musiques populaires de leurs régions.

On connait également l’attachement de Ravel aux musiques populaires des différentes cultures. C’est ainsi qu’en 1910, Ravel met en musique sept chansons populaires – dont une en yiddish : Mejerke, main Suhn (Meyerke, mon fils) – dans le cadre d’un concours organisé par la Maison du Lied à Moscou.

Toujours au début du 20e siècle, des musiciens et des chercheurs juifs russes s’intéressent aux musiques juives populaires. Dès 1900, Joël Engel (1868-1927) entreprend de noter et de donner en concert des chants folkloriques juifs. Encouragé par le compositeur Nikolaï Rimski-Korsakov, ce mouvement attire de jeunes musiciens juifs – tels notamment Lazare Saminsky, Solomon Rosowsky, Aleksandr Krein, ou encore Joseph Achron – et aboutit, en 1908, à la fondation de la “Société de musique populaire juive” à St-Petersbourg. Entre 1911 et 1914, cette société organise plusieurs expéditions ethnographiques sous la direction de Sh. An-Ski (1863-1920). Engel prend activement part à cette collecte qui permet l’enregistrement d’environ 500 cylindres contenant près d’un millier de chants. Disposant d’un matériel vivant et représentatif de la diversité des musiques juives, ces jeunes compositeurs entreprennent de réaliser un rêve vieux de 3.000 ans : recréer une musique juive. Mais pour An-Ski, l’essentiel n’est pas tant le matériel utilisé, mais la façon dont les briques sont disposées pour construire tantôt une église, tantôt une synagogue. Autrement dit, pour An-Ski, le fond (juif) prime sur la forme (non juive).

Cette idée sera reprise par Ernest Bloch, souvent considéré comme le chantre de la musique juive savante. Entre 1912 et 1916, Bloch compose notamment Trois poèmes juifs (1913), Trois psaumes (1912-1914), une symphonie Israël (1912-1916), Schelomo, rhapsodie hébraïque pour violoncelle et orchestre (1916). Bloch ne se considère pas comme un archéologue de la musique juive. Il écrit une musique nourrie par l’esprit hébraïque et l’amour de la Bible.

Darius Milhaud, qui se définit comme « Français né à Aix et de confession israélite », est également l’auteur d’une œuvre juive importante. On citera notamment : Poèmes juifs (1916), l’opéra Esther de Carpentras (1925-1927), ses 6 Chants populaires hébraïques (1925), le Service sacré du matin du Sabbat (1947), l’oratorio David composé pour le troisième millénaire de Jérusalem en 1955, et enfin sa dernière œuvre, la cantate Ani Maamin (1974) sur un texte d’Elie Wiesel, qui raconte les horreurs commises à Auschwitz, Treblinka et Maidanek.

Liés à cette période de la Shoah, il nous faut citer les noms de Viktor Ullmann et Simon Laks. Les Drei jiddische Lieder (Trois mélodies yiddish) de Viktor Ullmann ont été écrites à Terezin en 1944, quelques mois avant son extermination à Auschwitz. Ces trois œuvres magnifiques résonnent comme un hommage à la culture juive à l’heure de son anéantissement. Simon Laks a été également déporté à Auschwitz en juillet 1942. En tant que musicien, il survit plus de deux ans, en dirigeant l’orchestre du camp de concentration. En 1947, Laks compose Huit chants populaires juifs, puis en 1961 une Elégie pour les villages juifs, à la mémoire des Juifs d’Europe orientale assassinés.

En 1948, face à la vague d’antisémitisme qui sévit en URSS, le compositeur chrétien Dimitri Chostakovitch compose une œuvre intitulée De la poésie populaire juive (op. 79). Les onze chansons de ce cycle, qui ne sera créé qu’en 1955, deux ans après la mort de Staline, sonnent comme un cri de rébellion contre la haine antisémite.

Egalement marqué par la barbarie nazie, Joaquín Nin-Culmell (1908-2004) compose en 1982 un cycle de Seis Canciones populares sefardies dédiées à la mémoire de tous les martyrs juifs (« in memoriam omnium martyrum iudaeorum »). Pour cet hommage musical, Nin-Culmell a utilisé six mélodies judéo-espagnoles des communautés de Salonique, des Balkans, de Bulgarie et de Tétouan.

Une émission brillamment commentée par le pianiste David Bismuth…

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herve_photo_retouche_fond_uni_bleu_500px.jpgOfficier des Arts et des Lettres, Docteur en musicologie de l’Université Paris IV Sorbonne, Prix du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, Hervé Roten est Directeur de l’Institut Européen des Musiques Juives depuis sa création en 2006.
Ethnomusicologue de formation, il s’est intéressé très tôt à la sauvegarde et à la numérisation des archives, matières qu’il a enseignées durant plusieurs années au sein des universités de Reims et de Marne-La-Vallée.
Auteur de nombreux articles, ouvrages et disques portant sur les musiques juives, producteur d’émissions de radio, Hervé Roten est aujourd’hui reconnu comme l’un des meilleurs spécialistes de musiques juives dans le monde.

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